Jour de Célébration de la Paix à Juba

Le 31 octobre 2018, des milliers de personnes se sont rassemblées pour marquer la signature d'un accord de paix en septembre 2018, après plus de quatre ans de guerre civile au Soudan du Sud.

Critiqué par certains parce que trop coûteux et prématuré, une certaine dose de scepticisme entourait l’événement organisé par le gouvernement du Soudan du Sud mercredi 31 octobre pour célébrer la signature d’un accord de paix « revitalisé » en septembre, après plus de quatre ans de guerre civile. L’ancien vice-président et dirigeant du principal groupe d’opposition Sud Soudanais, le SPLM-IO, Riek Machar avait laissé planer le doute sur sa participation jusqu’à la dernière minute.

 

Mercredi matin, il a bel et bien foulé le sol de la capitale. C’était la première fois depuis juillet 2016 et sa fuite de Juba au beau milieu des lourds combats entre ses forces et celles de l’armée gouvernementale. Dans les mois qui ont suivi, des efforts de paix régionaux ont lentement réouvert un dialogue avec le président Salva Kiir. Une version revitalisée de l’accord de paix de 2015 a fait consensus en août à Khartoum. En septembre, cet accord a été signé à Addis Abeba par les deux dirigeants ainsi que d’autres groupes d’opposition.

 

Des invités arrivent au Mausolée de John Garang pour la Journée de célébration de la paix à Juba le mercredi 31 octobre 2018.

 

Une mobilisation générale a eu lieu dans la capitale dans les jours précédant la célébration de mercredi. Des voitures équipées de haut-parleurs ont arpenté les quartiers et des messages ont été envoyés à tous les portables pour inviter le public à participer. Des détenus de la prison centrale de Juba ont rejoint les travailleurs recrutés pour nettoyer les rues et donner un coup de peinture aux trottoirs afin de raviver leur motif noir et blanc. Des panneaux appelant à la paix et à l’unité ont fait leur apparition, montrant les dirigeants sud soudanais côte à côte à Khartoum. Le lieu dédié aux célébrations officielles à Juba, le Mausolée de John Garang, a été remis à neuf pour l’occasion.

 

C’est ici que des milliers de citoyens de Juba se sont rassemblés mercredi. Ils ont commencé à occuper le grand espace entourant la statue de John Garang tôt le matin, et ont attendu sous le soleil brûlant pendant des heures jusqu’à l’arrivée des officiels les plus hauts placés.

 

 

Le public arrive au Mausolée de John Garang pour la célébration de la paix le 31 octobre 2018.

 

 

Spectacles de danses et musiques traditionnelles pendant la célébration de la paix à Juba le 31 octobre 2018.

 

Riek Machar et d’autres dirigeants de l’opposition ont été joints par Sahle-Work Zewde, la présidente de l’Ethiopie, ainsi que par Omar al Bechir, président du Soudan, Yoweri Museveni de l’Ouganda, Mohamed Abdullahi de la Somalie, le premier ministre égyptien Mostafa Madbouli et de nombreux autres dignitaires et officiels. Après l’arrivée de Salva Kiir, la célébration a commencé par une procession bigarrée de groupes folkloriques traditionnels sud soudanais.

 

David Shearer, à la tête de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS) a déclaré que « nous n’aurions pas pu croire que ceci aurait été possible il y a six mois » et a rappelé au public qu’il y a « toujours des affrontements en cours dans le pays ». Il a exhorté les signataires à mettre en oeuvre l’accord, et a ajouté: « C’est mon espoir qu’à un moment dans l’avenir proche, la présence de la MINUSS ne soit plus nécessaire ».

 

Gabriel Changson a déclaré au nom de l’Alliance de l’Opposition Sud Soudanaise reconnaître que « nous, les dirigeants, avons fait des erreurs. Nous allons travailler à les corriger ».

 

Riek Machar a pris place à son tour à la tribune et fait un discours principalement en arabe. Il a vanté les efforts d’Omar al Bechir: « Vous avez montré que les sceptiques avaient tort. Vous avez été le premier à reconnaître l’indépendance du Soudan du Sud (…). Vous nous avez aidé à apporter la paix à notre pays » a-t-il dit avant d’également exprimer sa reconnaissance à Yoweri Museveni.

 

 

Riek Machar arrive au Mausolée de John Garang pour la célébration de la paix, Juba, 31 Octobre 2018.

 

Sahle-Work Zewde, le présidente de l’Ethiopie récemment intronisée, a décrit la célébration comme « un véritable événement historique » et exhorté « les femmes vulnérables, les enfants, les jeunes, à féliciter les parties pour avoir choisi la paix et le développement au lieu de la destruction ». Elle a demandé aux dirigeants sud soudanais de « tenir leur promesse ».

 

Le président de la Somalie, Mohammed Abdullahi, a affirmé que « cet événement montre que le Soudan du Sud s’est engagé à revitaliser l’accord de paix ». Il a témoigné des dommages causés par la guerre dans son propre pays. « Nous connaissons toutes les horreurs de la guerre (…). Pendant ce temps, le monde n’attend pas. Notre pays a dû rattraper son retard. Je ne souhaite pas la même chose à nos frères du Soudan du Sud » a-t-il déclaré.

 

Après la remise à Omar al Bechir d’un doctorat par l’Université de Juba et son Institute of Peace, Justice and Security Studies – un geste largement critiqué sur les réseaux sociaux – Salva Kiir a pris place au podium. Le soleil tombait déjà derrière le mausolée de John Garang.

 

Le président Salva Kiir accompagné par d’autres chefs d’Etat se recueille sur la tombe de John Garang pendant la célébration de la paix à Juba.

 

Le président a présenté ses excuses au peuple sud soudanais « au nom de tous les leaders (…) pour les blessures physiques et émotionnelles que vous avez subies au cours de cette guerre ». Il a affirmé que « la présence de l’opposition aujourd’hui est un témoignage fort que la guerre est en train de se terminer ».

 

“Nous savons que ce n’était une guerre ni ethnique ni économique, mais plutôt une lutte pour le pouvoir (…). Nous devons nous excuser auprès du peuple sud soudanais. Nous les dirigeants devons accepter la responsabilité collectivement et ne jamais repartir en guerre (…). Je pardonne personnellement Riek Machar. Et j’espère que Riek Machar m’a aussi pardonné. Le pardon n’est pas un acte de lâcheté (…). Aux communautés sud soudanaises: cette guerre n’était pas votre guerre. » – Salva Kiir.

Le président a annoncé qu’il ordonnait aux forces de sécurité « d’ouvrir toutes les voies pour permettre aux personnes et aux biens humanitaires de circuler librement, avec effet immédiat ». Il a également annoncé la libération de deux détenus politiques: James Gadet, l’ancien porte-parole de Riek Machar, et William Endley, un collaborateur sud africain du dirigeant de l’opposition. Les deux avaient été condamnés à la peine de mort pour trahison. Il a finalement réitéré son engagement en faveur du processus du Dialogue National, pour atteindre « un accord qui pourra résoudre tous les différends une fois pour toutes ».

 

Le temps dira si les mots se transformeront en action, et si l’accord de paix du Soudan du Sud revitalisé va en effet apporter une paix durable au pays. Le dévouement affiché par les milliers de personnes restées debout sous le soleil pour participer à la célébration jusqu’à la fin, envoie un message fort à leurs dirigeants. Ils et elles la veulent, cette paix.

 

 

 

Texte et photos de Florence Miettaux

 

    Garang Mausoleum

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